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Ma grand-mère qui souffrait d’Alzheimer riait beaucoup

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Ma grand-mère qui souffrait d’Alzheimer riait beaucoup. A 90 ans, elle a commencé à manifester des lacunes mentales. De petits oublis sans importance. A 92 ans, elle s’est mise à oublier les dernières choses qu’elle avait faites, mais elle se souvenait en revanche avoir été plongée dans une tâche qu’elle avait plus ou moins appréciée.

Elle est morte à 96 ans. Et pendant ces 4 ans, son Alzheimer n’a pas beaucoup plus avancé, mais suffisamment tout de même pour la mener à poser 4 ou 5 fois la même question.

Elle était une grande cuisinière quand elle pouvait encore se débrouiller toute seule. A la fin de sa vie, elle utilisait un déambulateur pour pouvoir marcher. Plusieurs opérations du genou et de la hanche ont restreint sa mobilité, ce qui ne l’empêchait pas de se déplacer pour autant.

Son énergie nous étonnait tous. Elle suscitait l’admiration chez ceux qui la connaissaient. Ma grand-mère, avec ou sans Alzheimer, a été une battante tout au long de sa vie.

Ma grand-mère aimait le vermouth

Quand la maladie a commencé à se manifester, j’avais déjà le permis et ma propre voiture. Ma grand-mère vivait seule, mais Alzheimer ne l’empêchait pas de vivre avec une certaine normalité. Une jeune fille lui tenait compagnie à la maison et elle était assez auto-suffisante.

Cependant, elle aimait venir manger à la maison, avec mes parents et moi. Ainsi, à 12h30, j’allais toujours la chercher. Et, comme à notre habitude, nous passions au moins une heure en voiture ensemble.

Elle aimait regarder le paysage par la fenêtre, surtout le paysage méditerranéen. Nous roulions toujours sur une partie de l’île de Majorque. Nous allions même dans le restaurant qu’elle préférait pour leur vermouth. Et après tout ce parcours de l’île, nous rentrions chez mes parents pour manger.

« Où est-ce que vous êtes allés ? », lui demandait son fils, mon père. « Je sais pas, mais j’ai beaucoup aimé », répondait ma grand-mère, souriante et heureuse. « Dis-nous un peu, qu’est-ce qu’on a vu ? », lui demandais-je. « On a vu de paysages de campagne… Mais je me rappelle plus, je crois qu’on est allés loin », répondait-elle.

« Je sais pas ce qu’on a fait, mais on a passé un bon moment. »

Ma grand-mère souffrant d’Alzheimer riait de tout

Les conversations avec elle étaient très fluides, nous pouvions parler de tout, mais sa mémoire à court terme lui faisait défaut. Malgré cela, lorsque nous répétions plusieurs fois la même action, peu à peu, elle s’en souvenait.

La psychologie était un de ses sujets en suspens ; elle ne se souvenait jamais à quoi elle servait. Je me suis rendu compte du fait que ses trous de mémoire, ajoutés à la complexité de certains sujets, faisaient qu’il était difficile pour elle de retenir des informations. Mais peu importait pour elle ; elle riait et prenait tout cela avec humour.

J’ai beau y réfléchir et chercher dans ma mémoire, je ne me souviens d’aucun moment où le mauvais fonctionnement de sa mémoire l’a énervée. Au contraire, cela l’amusait beaucoup et elle me disait tout en me regardant : « T’as vu comme on devient ? On se rappelle plus de rien », et elle riait. Elle le prenait bien et moi aussi.

Je me souviens d’un article scientifique de Niu et Alvarez-Alvarez (2016) qui montrait qu’au sein de la population européenne de plus de 65 ans, au moins 4,4% souffrait d’Alzheimer. Que doit ressentir une personne qui, peu à peu, ne parvient plus à se rappeler de rien ? A quoi doit ressembler une vie sans souvenirs récents ?

Les mains d'une femme qui a Alzheimer

Quand les petits-enfants prennent soin de leurs grands-parents

Le fait de m’occuper de ma grand-mère qui souffrait d’Alzheimer m’a appris une leçon très importante : même si elle ne se souvenait de rien de tout ce qu’elle avait fait, elle se rappelait tout de même d’avoir profité du moment. Et cette joie la suivait une bonne partie de la journée.

Je me suis rendu compte du fait que beaucoup de gens pensent que parce que nos aïeux souffrent d’Alzheimer, ils ne ressentent plus de plaisir lorsqu’ils s’adonnent à une activité. Et c’est faux.

L’important, ce n’est pas de savoir s’ils se souviennent ou non, mais c’est qu’ils soient heureux dans le moment présent. Ma grand-mère, d’une certaine manière, vivait dans le présent, quelque chose que beaucoup d’entre nous essayons de faire au quotidien, mais en vain.

Elle se souvenait de son passé très lointain, mais elle ne se rappelait plus de ce qu’elle avait fait la veille et savait qu’elle ne garderait aucun souvenir de ce qu’elle était en train de faire. Ainsi, elle ne pouvait alors que profiter pleinement du moment présent sans penser au passé ni au futur.

« Ma grand-mère a décidé d’arrêter de s’énerver lorsqu’elle a eu 90 ans. Elle avait toujours été une femme de caractère. Mais à partir de là, elle s’est mise à sourire à la vie et à tout prendre avec humour. Le sourire l’aidait à faire face à la maladie. »

Cette leçon m’a servie des années plus tard lorsque j’ai établi mes pratiques de psychologie dans une résidence réservée aux personnes du troisième âge. De fait, mes personnes âgées préférées étaient celles qui souffraient d’Alzheimer et qui ne s’inquiétaient de rien ou presque.

Je savais qu’elle ne se rappelleraient de rien, mais elles profitaient du moment présent. C’est alors que je me suis dit que toutes ces personnes âgées étaient mes « grands-pères » et mes « grands-mères ». Je me suis promis qu’elles allaient pouvoir profiter de leur vie dans le présent.

 

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