Otto Gross : biographie d’un autre psychiatre

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Otto Gross était une figure si particulière que Sigmund Freud s’est toujours abstenu de le psychanalyser. Carl Jung, pour sa part, entreprit ce processus et finit par être psychanalysé par son patient.

Le nom d’Otto Gross n’est pour beaucoup pas familier et cela a une explication évidente : il a longtemps voulu effacer le fait qu’il existait, qu’il était au cœur du mouvement psychanalytique classique. En outre, il voulait dissimuler le fait qu’avec sa vie et ses idées, il faisait trembler les fondations de ce courant. Bien que très productif et mettant en lumière de nombreux écrits, ceux-ci étaient systématiquement cachés ou minimisés.

On peut considérer Otto Gross comme précurseur de l’antipsychiatrie. Silvia Tendlarz, spécialiste de la vie et de l’œuvre de Gross, le décrit comme « le premier psychotique de l’analyse« . Pour beaucoup de ses contemporains, il était un malade mental. Même dans ce cas, il possède une œuvre propre à lui qui a notamment influencé le mouvement dada. Sans aucun doute, celui-ci était en avance sur son temps à bien des égards.

Gross était un artiste et bohème, aussi anarchiste de conviction, psychiatre et psychanalyste. En outre, il fût Cofondateur de la colonie Monte Véritable à Ascona. De nos jours, on pourrait  la considérer comme la première communauté hippie de l’histoire. Ingénieux, drôle, accro à la cocaïne et à la morphine, féministe et défenseur radical de la liberté, il déconcertait et émerveillait ceux qui le connaissaient.

« Nous pensons que la première vraie révolution sera celle pour laquelle femme, liberté et esprit ne feront qu’un. »

-Otto Gross-

Un psychiatre spécial

Otto Gross est né en Autriche le 17 mars 1877. On sait peu de choses de son enfance et de son éducation. En revanche, ce que l’on sait c’est qu’il était le fils unique d’Hans Gross. On considérait ce dernier comme l’un des pionniers de la criminologie moderne. Au début, Otto aimait beaucoup son père mais il finit par prendre ses distances, rejetant les idées déterministes de ses théories.

Ce rejet de son père ainsi que son attitude libertaire le conduisirent à être l’un des amis proches de Franz Kafka. Ce tempérament le définissait depuis son plus jeune âge En fait, les deux hommes rêvaient d’éditer un magazine contre le patriarcat. Une grande partie des idées sont réunies dans Lettre au père de Kafka.

Beaucoup disent qu’Otto Gross ne fit pas qu’étudier la schizophrénie, mais qu’il la pratiqua aussi et surtout. Sa vie était une accumulation d’expériences contrastées. Il voyagea en Amérique du Sud et fût médecin sur un navire ainsi que dans un régiment hongrois pendant la guerre. De plus, il adorait l’art et évoluait comme un poisson dans l’eau au sein des cercles expressionnistes. En outre, il fût également assistant de Kraepelin, alors considéré comme le père de la psychiatrie. Gross voulut porter plainte contre lui pour ne pas avoir connu la psychanalyse.

 

Gross, l’anarchiste

Pour beaucoup de gens, Otto Gross est l’une des grandes figures de l’anarchisme, aux côtés de Bakounine et de Kropotkine. Il ressentait une véritable aversion pour les systèmes de pouvoir et les normes qui limitaient la liberté. Il devint toxicomane très tôt. Toutefois, il effectua en effet plusieurs stages de désintoxication. En référence directe à ces thérapies, un épisode particulièrement intéressant se produisit.

Gross est allé à Burgölzli pour se désintoxiquer. Sigmund Freud signa en personne la demande d’admission à cet endroit. Cependant, le père de la psychanalyse n’a jamais voulu le traiter. C’est pourquoi, il a confié cette tâche à Carl Jung. Il le pria de se limiter à travailler sur sa dépendance, rien de plus. Toutefois, Jung l’ignora et décida quand même de le psychanalyser.

C’est ainsi qu’ils entamèrent une série de séances, dont l’une dura 24 heures. Après cette séance inhabituelle, Jung déclara que Gross l’avait psychanalysé. En fait, dans un épisode plus ou moins psychotique, Jung vint à dire qu’il était le « frère jumeau » de Gross. Après cela, il alimenta une haine contre Otto. Celui-ci s’échappa par ses propres moyens du centre de désintoxication.

Otto Gross

Un psychanalyste hors la loi

Otto Gross n’était pas orthodoxe dans le traitement des patients. Souvent, les femmes qui allaient le voir en consultation devenaient ses amantes. On dit même qu’il analysait ses patients dans des bars de fortune. Il aida également deux de ses patients à mourir. En effet, il était convaincu par l’euthanasie et l’aide au suicide.

C’était aussi un féministe invétéré qui respectait en même temps l’homosexualité. Dans la communauté utopique d’Ascona, on promouvait la liberté absolue et l’absence totale de normes. Cela amena beaucoup de gens à voir l’expérience comme une pratique scandaleuse. De nombreux amis et collègues de Gross le renièrent alors.

La psychanalyse le condamna à l’ostracisme. Son nom fut effacé de l’histoire officielle de ce mouvement. Cependant, beaucoup, dont Freud lui-même, avaient été témoins de ses grandes contributions écrites. On alors accusa Otto Gross de faute professionnelle. De plus, on le déclara mentalement fou. Cela conduisit à son isolement progressif. Il mourra de faim et de rhume dans une rue de Berlin à l’âge de 43 ans. Les artistes tentent de préserver son travail et sa mémoire.

 

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