Que se passerait-il si, subitement, vos amis et votre famille avaient accès à vos réseaux sociaux ? Que cachons-nous dans nos téléphones portables ? Perfectos desconocidos (2017) est un film espagnol réalisé par Álex de la Iglesia; il y explore tous ces points. L’histoire est une adaptation de son homonyme italienne Perfetti Sconosciuti (2016) du cinéaste Paolo Genovese. Les deux versions nous montrent la même chose: un groupe d’amis qui se réunit pour partager un dîner. À cause d’un jeu, tout se compliquera et leur intimité la plus profonde éclatera au grand jour.
Perfectos desconocidos est un film qui « détone » dans la filmographie du réalisateur. Après tous ses films, il est étrange de penser à une comédie qui cherche à être une critique plus ou moins réaliste de notre société actuelle. De la Iglesia nous a habitués à un autre type d’humour. Plus noir. Plus bestial. Et plus surréaliste. Avec des situations normales qui finissent par être poussées à l’extrême. A être complètement tirées par les cheveux.
C’est peut-être pour cela que Perfectos desconocidos n’a pas plu à tout le monde. L’idée est intéressante, cela n’en fait aucun doute, mais il manque un plat plus « nourrissant » à ce dîner. Et les amuses-gueules ont été trop nombreux. Trop d’ingrédients pour un repas très bref et trop prévisible. Pour beaucoup, le dessert était de trop.
Malgré cela, la proposition, le discours et la réflexion proposés par le film sont ambitieux. Sous forme de comédie, dans un espace extrêmement limité, un téléphone est suffisant pour entraîner une véritable tragédie. Une comédie bien actuelle, propre à notre époque, qui nous fera sourire et réfléchir. Comment nous servons-nous des nouvelles technologies? Connaissons-nous réellement nos proches? Perfectos desconocidos nous le montre à travers différentes situations tragi-comiques.
L’intimité à l’ère des smartphones
Les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux font partie de nos vies, notre smartphone est presque le prolongement de notre bras et, en même temps, une sorte de journal. Nous le transportons toujours avec nous, nous conservons des images, des conversations et une infinité d’informations que nous voulons partager ou non. Par exemple, ce que nous faisons lorsque nous naviguons sur le web nous appartient et fait partie de notre vie privée. Nous ne sommes plus seuls. Le réseau nous accompagne. Et il est même le seul à connaître une partie de nos pensées les plus profondes.
Sur les réseaux sociaux, nous exposons l’image que nous voulons montrer au monde, les plus belles photos de notre voyage ou le repas que nous sommes en train d’apprécier. Mais qu’est-ce qui se cache réellement derrière tout cela? Nous vivons dans un monde où nous sommes constamment soumis à un jugement externe: c’est pour cela que nous essayons de faire attention à notre image, celle que nous voulons projeter au monde même si, de temps en temps, elle ne correspond pas à la réalité.
Entre vérité, mensonges et secrets
Nous pouvons dire, d’une certaine façon, que nous vivons dans un mensonge constant, une fausse réalité qui n’est rien de plus qu’une distorsion de nous-mêmes. Très souvent, nous ne croyons même pas ce que nous publions; nous suivons le « qu’en dira-t-on » et partageons des nouvelles que nous n’avons même pas lues mais dont le titre nous a interpellés. Perfectos desconocidos traite tout cela. Il s’agit d’une comédie qui cherche à mettre à nu un groupe d’amis, de personnes qui sont censées bien se connaître.
Les situations que nous présente De la Iglesia sont si abracadabrantes qu’elles perdent en crédibilité. Non pas parce qu’elles sont impossibles mais parce qu’il est difficile de croire qu’un groupe de personnes avec autant de secrets puisse être tenté de les exposer. Actuellement, c’est la dernière chose que nous voudrions, nous exposer, montrer notre vérité intime. Même si nous pouvons penser que c’est précisément ce contrôle qui pousse les personnages du films à se laisser emporter par la situation.
Faire tomber les masques
Les personnages se libèrent de leur masque et laissent éclater au grand jour leurs secrets les plus obscurs. Ils prennent le risque de perdre tout ce qu’ils ont. La comédie part, précisément, d’un point tragique et d’une sorte de misère. Nous rions en voyant les hasards se succéder au fil de la trame. Des hasards qui mettent sûrement fin à l’amitié et l’affection de tous ces gens.
Nous gardons une bonne partie de notre intimité dans un petit appareil qui porte le nom de smartphone. Un appareil qui nous accompagne toujours et qui, par conséquent, est susceptible de nous exposer. Et si nous le laissions sur une table, une nuit entière, à la vue de nos proches? Même si nous pensons que nous n’avons rien à craindre, il y aura sûrement un secret, même infime, qui sera révélé. L’intimité ne nous appartient plus; nous la stockons et la laissons à la portée de tous, même si nous la protégeons avec des mots de passe.
Perfectos desconocidos, un portrait de la contemporanéité
La perte de notre intimité
Avons-nous perdu notre intimité? Nous montrons peut-être une fausse apparence et projetons une image de nous-mêmes très éloignée de la réalité mais, en réalité, et en partie, notre intimité n’existe plus. En fait, nous sommes aussi exposés que ce petit morceau que nous considérons comme personnel, ces petits secrets que nous voulons préserver et qui vivent au chaud dans notre smartphone. Perfectos desconocidos dresse un portrait très juste de la dépendance et de la peur de notre image. Nous avons peur que notre véritable moi éclate au grand jour.
Certains personnages se montrent moins enclins que d’autres à participer. Cependant, la pression du groupe, et surtout celle que leur conjoint exerce sur eux, les pousse à laisser voir leur côté le plus intime. Dans le cas de deux personnages, nous voyons que la peur dépasse le propre jeu et nous aboutissons ainsi à une situation très hilarante. Face à la peur d’être découvert par sa compagne, Antonio propose à Pepe d’échanger leurs téléphones; or, il ignore que Pepe cherche aussi à protéger un secret qu’il n’a jamais révélé à personne.
Cette protection de l’intimité les pousse à ne pas vouloir révéler qu’ils ont échangé leur téléphone, même quand la situation débouche sur une tension extrême. Ils ne veulent pas l’avouer, même en sachant que tout pourrait se régler en expliquant la vérité. Ils s’accrochent tous deux à leur secret, à leur petit espace d’intimité qu’ils veulent protéger des autres.
Il y a autre chose que nous ne supportons pas dans l’actualité : l’ennui. C’est ce que nous voyons avec le personnage d’Eva qui, dès le début, espère que quelque chose se produira. Quelque chose de bon ou de mauvais, mais quelque chose qui brisera la routine et la monotonie.
Un phénomène naturel
Toute l’histoire est liée à un phénomène étrange qui accompagne cette série de hasards. La lune rouge. Ou lune de sang. La lune est vue, et cela remonte à l’Antiquité, comme un conducteur du monde et surtout des éléments liquides. Les marées changent avec elle, mais notre cerveau aussi est humide. Certains auteurs, comme Aristote, voyaient donc une certaine corrélation entre les phases lunaires et le comportement humain.
Ainsi, nous avons une lune très puissante contre laquelle les meilleurs smartphones du marché ne peuvent pas lutter. Une lune qui rendra la situation violente. Et les participants, irrationnels.
En frôlant la folie et en déclenchant les rires, Perfectos desconocidos nous présente les possibles conséquences du monde dans lequel nous vivons. Il nous propose une réflexion sur l’hypocrisie, le mensonge et les fausses apparences. Connaissons-nous réellement nos proches? Ou ne connaissons-nous que l’image qu’ils veulent nous montrer? Sommes-nous en train d’appliquer la fausseté des réseaux sociaux à notre propre réalité quotidienne?
Álex De la Iglesia nous livre une comédie avec beaucoup de remake et peu d’Álex qui, au final, nous fera passer un moment aussi agréable qu’intéressant.
« Je ne t’ai peut-être jamais connu. »
-Perfectos desconocidos-
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