Nous quittons la maison pour aller à la plage et le soleil est radieux, mais dès que nous atteignons la côte, les nuages viennent de l’horizon. Un de nos amis n’hésite pas à dire “je l’ai vu venir, je savais que cette journée finirait par se gâter”. Loin des boules de cristal ou des pouvoirs de divination, ce que cela montre c’est un biais rétrospectif.
Il ne manque pas parmi notre famille, nos amis, nos collègues de travail, ainsi que sur les réseaux sociaux, des personnes qui, comme l’Oracle de Delphes, assurent qu’ils savaient déjà qu’une telle ou telle chose allait se passer.
“Je savais que ça allait se finir comme ça.” “Je te l’ai dit, tu vois ? Ce que je t’ai dit a fini par arriver…” Ce type de raisonnement ne cesse de nous étonner. Et ce, pour une raison essentielle. Ceux qui prétendent qu’ils avaient déjà anticipé ceci et cela, en réalité, ne l’ont jamais fait.
Le biais dont nous parlons est produit par un échec de mémoire. Nous sommes face à un faux souvenir qui nous fait croire que l’on peut prédire une situation future avant qu’elle ne se produise. Connaissez-vous quelqu’un comme ça ?
Le biais rétrospectif est plus fréquent dans les contextes négatifs
Les gens sont faits d’os, de chair, de rêves, de désirs et d’une myriade de préjugés psychologiques. Cependant, nous n’en sommes pas conscients. Ces mécanismes par lesquels des erreurs se produisent dans la manière dont nous traitons la réalité, émettons des jugements inexacts ou des interprétations illogiques sont très courants.
Nous utilisons ces mécanismes parce qu’ils sont un besoin évolutif. Une ressource cérébrale que nous avons développée au fil du temps. La raison ? Leur but ? Gagner du temps. Nous sommes incapables de traiter chaque élément ou variation qui nous vient : l’esprit a besoin de réagir avec précision, mais aussi très rapidement.
Qu’est-ce que cela donne ? Cela donne des erreurs, des inférences ratées, une tendance classique à valider les données conformes à nos croyances (biais de confirmation) ou à penser que nos idées sont les plus acceptées et les plus répandues (biais de faux consensus).
Ainsi, le cas du préjugé ou du biais rétrospectif définit un type de phénomène psychologique qui augmente de façon exponentielle en période de changement social et de crise économique. Voyons cela plus en détail.
Biais rétrospectif et Watergate
C’est au début des années 1970 que la psychologie s’est intéressée à l’étude et à la définition des biais psychologiques. Les personnalités les plus représentatives dans ce domaine étaient sans aucun doute le Dr Amos Tversky et le psychologue et prix Nobel d’économie Daniel Kahneman.
Grâce à leurs recherches sur l’heuristique, ils se sont rendu compte qu’une grande partie de la population était davantage biaisée. Le Dr Baruch Fischhoff est allé un peu plus loin et a mené sa propre expérience entre 1974 et 1975.
Quelque temps avant la démission de Nixon, on a demandé à un large groupe de la population si le président allait être réélu. La plupart ont dit oui. Quelques mois plus tard et après le scandale du Watergate, la majorité a affirmé savoir ce qui allait se passer. Ils semblaient tous avoir oublié leur premier raisonnement.
Quand les choses tournent mal
Le biais rétrospectif apparaît plus fréquemment lorsque ce que nous disons savoir a des conséquences négatives ou est négatif en soi. L’arrivée d’une crise, d’un licenciement, d’un événement global négatif… C’est dans ce contexte qu’émergent le plus ces voix qui anticipent, selon elles, ce qui va se passer.
Il en a été de même avec la crise financière de 2008. Beaucoup d’économistes ne l’ont pas vue arriver à son époque mais, une fois qu’elle s’est produite, la plupart ont affirmé qu’il y avait des indicateurs qui la prédisaient déjà.
Il y a aussi un phénomène supplémentaire à prendre en compte : la recherche des coupables. Dans ces situations, on entend souvent des phrases telles que “Je savais déjà que ce désastre se produirait, maintenant nous devons traduire en justice celui qui l’a permis.”
Pourquoi appliquons-nous un biais rétrospectif ?
Nous connaissons tous plus d’une personne qui utilise un biais rétrospectif. Ce sont des profils quelque peu inconfortables, qui s’attribuent le pouvoir d’anticiper les événements. Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi leurs esprits dérivent-ils vers des jugements aussi imparfaits alors qu’en réalité ils n’ont jamais anticipé ceci ou cela ?
Lorsqu’il y a une situation qui par elle-même est négative ou défavorable (une crise économique, une catastrophe naturelle…), ce biais offre un grand sentiment de contrôle sur la propre réalité. Cela nous fait nous sentir bien, éteint la peur et nous donne un plus grand coup de pouce.
C’est presque comme un mécanisme de défense. Un “d’accord, c’est mauvais, mais comme j’avais déjà prévu le coup, je ne suis pas tellement impressionné. Et si je cherche le coupable, j’ai un plus grand sentiment de pouvoir et je m’exempte de culpabilité”.
Ce mécanisme par lequel nous changeons nos idées passées pour les ajuster à la réalitéprésente – dans le but d’éliminer d’éventuelles dissonances – est en fait très fréquent. Comme la plupart des préjugés dont Daniel Kahneman nous parle dans son livre Pensez vite, pensez lentement.
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