Roma, un portrait tout en détails

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Ces dernières années, les prix de l’Académie se sont retrouvés dans les mains de trois Mexicains : Guillermo del Toro, Alejandro González Iñárritu et Alfonso Cuarón. Trois amis, les trois de Mexico, les trois avec beaucoup d’histoires à raconter… Le public et la critique ont été éblouis par leur talent dans les festivals les plus prestigieux du monde. En 2017, Guillermo del Toro nous a conquis avec La Forme de l’eau. Et, cette année, Roma de Cuarón a raflé plusieurs récompenses.

Les Oscars ignorent ce que sont les murs. Ces cinq dernières années, ils ont reconnu trois réalisateurs étrangers. Trois immigrants, venant d’un pays où la spiritualité est encore bien présente dans les traditions, chose que Del Toro n’abandonne jamais dans ses films. Même si elle a dû s’adapter aux nouvelles exigences, à un nouveau marché aux budgets élevés, la trace mexicaine est encore bien visible dans le parcours de ces trois réalisateurs.

Roma a reçu le Lion d’Or à la Mostra de Venise, ainsi que l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Il a été unanimement applaudi par la critique. Ce film est un souvenir. Il s’agit de l’enfance de Cuarón qui nous est racontée d’un point de vue adulte et mature. La perspective d’une femme qui, d’une autre façon, aurait été invisible.

Del Toro avait déjà livré, dans La Forme de l’eau, un message d’amour vis-à-vis de l’altérité, en narrant son film selon le point de vue de femmes de ménage et en s’éloignant des clichés, des emplois « prestigieux »… Cuarón fait la même chose dans Roma, en laissant la parole l’employée domestique de son enfance. Il dédie un film à sa personne, sa culture, sa langue. Il s’agit d’un film où les choses exceptionnelles importent peu. Ici, les choses oubliées et quotidiennes occupent le premier rôle.

ATTENTION : Cet article peut contenir des spoilers. 

Roma, une expérience visuelle

Cuarón se plonge dans son enfance, dans la vie de famille aisée, au beau milieu d’une situation de révolte, celle suivant le Massacre du Corpus Christi de 71, pour nous raconter l’histoire d’un personnage invisible, celle de l’employée de maison aux origines mixtèques. Il se perd dans les détails. Sa caméra s’arrête devant des petites choses telles que l’eau pour laver le sol, un avion fendant le ciel ou les excrément du chien de la maison.

La caméra se déplace aussi avec Cleo, la protagoniste, et nous montre ses émotions, sa routine. Elle la suit, la cache, l’accompagne à chaque instant. À travers les détails et les mouvements de caméra, Cuarón nous décrit Cleo, il raconte sans utiliser de mots. Les images parlent d’elles-mêmes et donnent vie à un portrait réaliste.

Chaque image peut avoir une infinité de sens. Pourquoi se concentrer sur l’eau qui sert à laver le sol ? Pourquoi s’arrêter sur les excréments du chien ? Cuarón se sert du contexte, du visuel, de tous les éléments qui créent l’histoire, des petites choses apparemment insignifiantes, en les dotant d’un sens profond qui nous livrera les clés de cette histoire. L’invisible acquiert un sens : il devient un protagoniste à travers le portrait de Cleo.

Les symboles dans le film

Les symboles deviennent très importants dans Roma. Ils expliquent tout ce qui ne peut pas être dit à travers des mots. L’eau est synonyme de vie. Elle est la source de tout. Thalès de Millet affirmait déjà, dans l’Antiquité, que l’arjé est l’eau, c’est-à-dire le début de toute chose. C’est pour cette raison que l’eau est considérée comme un symbole de vie, de maternité, d’immortalité… Et qu’elle est associée à la purification, à la renaissance. Nous retrouvons cette idée dans certaines religions, comme le christianisme, où l’eau est fondamental pour le baptême. Dans Roma, elle est présente dès le début. Elle se manifeste sous forme d’eau pour nettoyer le sol et nous donne une piste à propos du travail de Cleo.

Tout au long du film, l’eau apparaîtra sous différentes formes. Celle de la grêle, de l’eau de douche, des gouttes qui tombent du linge étendu pour sécher… Pour terminer dans l’immensité de la mer. L’eau est un composant essentiel de l’être humain et de notre planète. Elle accompagne Cleo pendant toute la durée du film et finit par la faire plonger dans l’océan pour sauver les enfants alors qu’elle ne sait pas nager. Cette scène est une scène de catharsis, de purification et d’évolution pour le personnage.

D’autres éléments comme le feu, les reflets, la nature et la relation de Cleo avec cette dernière sont tout aussi importants et significatifs. L’un d’eux nous interpelle tout particulièrement : celui de l’avion. Un avion que nous voyons dans le reflet de l’eau lors du générique de début, qui surgit dans les moments clés et réapparaît à la fin du film. Cet avion nous est présenté comme le futur de la vie, comme un parcours et, en même temps, comme une fuite, un mélange de liberté et d’aventure qui contraste avec la vie routinière de Cleo.

 

À la rescousse des oubliés

Cuarón va du général au particulier. Il nous place dans un environnement bien connu, celui des années 70 au Mexique, en plein conflit. Cependant, il ne s’attarde pas sur cette situation. Il se focalise sur Cleo, sur la famille, sur la séparation des parents et le rôle que doit jouer sa mère. Le film est à l’image de la vie ; les conflits, les problèmes et l’action surgissent de façon inattendue, même s’il nous laisse des indices nous permettant de les anticiper.

L’image du père est liée à celle de la voiture ; une grosse voiture américaine qui représente le pouvoir, l’argent. Le père s’en va pour ne jamais revenir, avec une voiture beaucoup plus petite. En faisant cela, il nous offre une scène que nous ne comprenons pas trop -au début-. Cette scène prendra finalement tout son sens lors du dénouement.

La mère est une autre protagoniste essentielle. Elle doit se défaire de la voiture emblématique, de son passé, et en achète donc une plus petite, plus pratique. L’étreinte entre les parents est extrêmement significative. La mère semble angoissée et sert son mari comme si elle ne voulait pas le laisser partir. Le père, de son côté, se montre beaucoup plus distant. C’est finalement la femme qui nous révèle qu’ils se sont séparés. Nous comprenons ainsi son rôle dans le film, ses préoccupations et son anxiété.

Cleo et le peuple indigène

Roma nous plonge dans une ambiance délicate, nostalgique, tout en noir et blanc, et nous offre la possibilité de connaître le peuple Mixtèque -ou, du moins, sa langue-. Le peuple indigène, fidèlement représenté par Cleo, nous est enfin révélé au cinéma en tant que réalité qui existe, vit, souffre et sourit. Cleo, en dépit de sa vie routinière, tombe aussi amoureuse et souffre du désamour. Nous autres spectateurs l’accompagnons dans certains des moments les plus significatifs de sa vie.

La scène de l’accouchement est vraiment émouvante. Nous réussissons à ressentir la douleur de Cleo, sa culpabilité qui se manifeste à travers l’océan. Cleo et son amie Adela sont interprétées par deux femmes mixtèques, sans la moindre expérience au cinéma, qui apportent un immense réalisme au film.

Cuarón se réconcilie avec son enfance, il nous présente Cleo, inspirée par la figure de Libo, celle qui a été sa nourrice. Il construit un portrait narré à la perfection, nous plonge dans les détails de la vie quotidienne, nous fait ressentir les sensations et les émotions de Cleo, en la suivant à travers tous les espaces de la maison. Il nous montre aussi les différences qui existent entre la vie de famille aisée et celle de l’employée de maison. Enfin, pour conclure, il lui livre un hommage très touchant, en embrassant la diversité des cultures, des langues et des personnes qui vivent dans le même monde.

 

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